Bernard Rouget arrive en 1974 dans les Alpes Maritimes, il s'installe à Saint Paul de Vence, route des serres. Il continue son métier de photographe, et crée une nouvelle maison d'édition, "Édition de Gourcez" qui comporte aussi une imprimerie. Avec son épouse Madeleine Rouget, il éditera plusieurs livres à compte d'auteur. Il consacrera trois années de travail sur un ouvrage exceptionnel "Bonaparte à Nice, Grasse, Antibes, St.-Maximin", Armand Lanoux signera la préface.
Bonaparte à Nice,
Paul Claudel, dans ses «Mémoires Improvisées» dit: … je vous parlais de Napoléon conquérant l'Italie, et, dans cette conquête de l'Italie, l'amour trompé, désappointé, de Bonaparte pour Joséphine, jouait un certain rôle, jouait même un des rôles les plus importants…» Et plus loin: … vous avez à la fois dans Napoléon, un bureaucrate, un homme amoureux du détail et en même temps: un romantique échevelé, un homme poussé par une idée presque mystique qui va lui laisser peu de repos».
Or, tout cela s'est révélé à partir de Nice. Au moment où le «roi» Voltaire avec son cynisme, ses «payantes» idées généreuses et son «hideux sourire», selon Musset, descend définitivement au tombeau, avec la fin du XVIIIe et d'une société qu'il a combattue, mais qui était à son image, Bonaparte, aristocratiquement corse, plonge l'humanité dans le tourbillon du romantisme, dont Chateaubriand, comme Orphée, a ouvert les portes littéraires. Seulement, au lieu de gémir sur lui-même comme s`y complaisait le breton René, Bonaparte, en vrai méditerranéen, dissimule ses sentiments, et par pudeur, jette à la face du monde sa marque de conquérant, peut-être pour masquer celle de l'amant trompé.
Ce livre, pour l'auteur, n'est ni une polémique ni une hagiographie, mais Bonaparte y est considéré tel qu'il est, c'est-à-dire un héros national et européen (peut-être discutable et discuté d'ailleurs), au même titre que Michel-Ange est un sculpteur génial et Beethoven un musicien épique.
A une époque où Napoléon est assez mal considéré par toute une tranche de l'élite intellectuelle française qui parfois lui reproche d'avoir laissé notre pays moins étendu qu'il ne l'avait reçu, nous nous autorisons à ne pas traiter une nation en terme d'hectares, mais de «geste». Or la «geste» de Napoléon fut fabuleuse. Elle le fut surtout pour le peuple, le petit peuple, dont il fut adoré plus encore que l'avait été le roi, parce qu'il semblait aux Français que ce génie sortait de leurs entrailles.
(...) Nice, où plus tard Berlioz entendra la «Symphonie fantastique›› et se consolera, avec une jolie brunette, de son désespoir d'amour qui aurait dû le mener au suicide, où Nietzsche formulera tous les propos de l'Ante-Christ pour démolir les fondements intellectuels et moraux de notre civilisation et qui sait, peut-être les faire revivre sous une autre forme, où les rois se rendront pour jeter les bases d'une Europe, peut-être éclatée, mais qui, espérons-le, se ressaisira, car la planète en a besoin, selon encore le mot Claudel «la Méditerranée c’est l’univers››. Bonaparte a peut-être dû lui aussi trouver ici à la fois l'amour et la grandeur, la passion et le désespoir, et, au-delà, ce qui anime le meilleur chez l'homme, la foi dans une destinée susceptible de parfaire la destinée de tous.
Bernard Rouget
Saint-Paul de Vence
Septembre 1977.
C'est en septembre 1980 à Saint-Maximin que le futur ministre de la culture Jack Lang organise "Les Dialogues Méditerranéens", l'idée était de rassembler des intellectuels et des responsables socialistes des pays riverains de la Méditerranée pour repenser les relations nord-sud. François Mitterrand fit un discours dans ce sens (Le Monde du 16 septembre1980) " Disputée, occupée, polluée et pillée " (...), les pays méditerranéens remplissent un rôle second, réservé aux pays colonisés (...), elle sert de banc d'essais aux rivalités des super-puissances". Dans la foulée, Il annonce la prochaine mise en place d'un " Conseil des peuples méditerranéens " pour ouvrir la voie d'une solidarité méditerranéenne. Ce projet sera à nouveau lancé par Jacques Chirac à la suite de la Déclaration de Barcelone en 1995 et finalement crée en 2008 à Paris sous la forme de l'Union pour la Méditerranée.
Bernard Rouget fasciné par l'histoire de la méditerranée (comme nous venons de le voir), sera en septembre 1980 évidemment présent à cette manifestation. Il photographiera tous les intellectuels et toutes les personnalités qui constitueront le futur gouvernement de François Mitterrand.
Bernard Rouget a tenu une chronique visuelle d'une valeur sans égale. Il a fixé des visages, des événements, mais aussi les façons d'être d'un temps révolu. Il est le photographe d'une mémoire collective. C'est en cela qu'il est unique.
Edmonde Charles-Roux
Copyright: Photothèque Bernard Rouget, Philippe Rouget
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