Extraits de l’interview d’Albert Camus par Bernard Rouget en décembre 1945
BR: La lecture des nombreux articles que vous avez donnés à Combat donne l'impression qu'au rang de vos préoccupations essentielles figure le problème arabe: vous avez été un des rares en France à en définir les termes, ce qui a suscité de nombreux espoirs dans les milieux musulmans. Pourriez-vous préciser pour nos lecteurs dans quelle voie il faudrait s'engager pour aboutir à une véritable politique franco-arabe féconde et créatrice ?
Albert Camus: Ce serait trop long d'en parler. Disons seulement que si la France est encore traitée avec des égards ce n'est pas en raison de son glorieux passé. Le monde aujourd'hui se moque des gloires passées. Mais c'est parce qu'elle est une puissance arabe, vérité que quatre-vingt-dix-neuf Français sur cent ignorent. Si la France n'imagine pas dans les années qui viennent, une grande politique arabe, il n'y a plus d'avenir pour elle. Une grande politique pour une nation appauvrie ne peut être qu'une politique exemplaire. Je n'ai qu'une chose à dire à cet égard: que la France implante réellement la démocratie en pays arabe et elle n'aura pas seulement avec elle l'Afrique du Nord, mais encore tous les pays arabes qui sont traditionnellement à la remorque d'autres puissances. La vraie démocratie est une idée neuve en pays arabe. Pour nous, elle vaudra cent armées et mille puits de pétrole...
Albert Camus à Bougival, Novembre 1945, pendant la pièce de théatre Caligula avec Gérard Philippe, dans la propriété de Guy Shoeller
Albert Camus au théâtre Hébertot pour Caligula, avec Gérard Philipe, au Théâtre Jacques Hébertot
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