Armé de son appareil photo, Bernard Rouget a arpenté le Maroc sans relâche de 1940 à l’orée des années 1970. Paysages des villes et des campagnes, activités humaines, portraits des humbles et des puissants... : ce pays dont il s’était follement épris, Bernard Rouget n’aura eu de cesse de l’immortaliser sous toutes ses facettes, le magnifiant de son œil de peintre. Il nous lègue une inépuisable mine iconographique.
Sa Majesté Mohammed V le recevant en audience privée lui dira :
« Un marocain n’aurait pas traité sa religion avec plus de noblesse que vous ne l’avait fait ».
Cavalier se préparant à la fantasia, El Jadida 1949,
En 1832, Delacroix accompagna le comte de Mornay, ambassadeur extraordinaire du roi Louis-Philippe auprès du sultan Moulay Abd er Rahman. Le peintre découvrit le Maroc avec enthousiasme et jeta fiévreusement ses impressions sur ses carnets de notes et de croquis. L'enchantement commença à Tanger, et se poursuivit pendant tout le voyage. Mais le Maroc de Delacroix n'a pas disparu. Ni celui de Loti, qui peignit lui aussi, les cavaliers des fantasias, embobelinés de blanches étoffes, armés de longs fusils, courants sous un ciel de poudre.. On les revoit dans les moussems et dans les fêtes du Maroc moderne. On admire leur prestance et le riche harnachement de leurs chevaux, qui soulèvent la poussière de leurs sabots nerveux. On oublie les dates et l'histoire en voyant groupés derrière leur chef ces hommes qui ont quitté leurs champs pour se transformer sans effort en cavaliers de légende.
Jeune mariée du pays Zaïan à la cascade de Séfrou 1950,
Une petite fiile joue près de l'oued qui arrose la ville de Séfrou. “Regardez de plus près : cette petite fille est une femme” elle porte la coiffure et les lourds bijoux d'argent des jeunees épousées. L'oued qui coule auprès d'elle se mue à l'occasion en un torrent de l’existence: les choses et les êtres ne sont que ce qu'ils sont, à condition de se contenter des apparences de l'instant. Complaisante, celle·ci a posé autant de fois que le photographe l'a voulu. Tantôt elle riait, insouciante, et tantôt son regard se voilait d’inquiétude. Nous aimerons posséder la perspicacité d’un mage pour écouter et pour transcrire les confidences de la jeune épouse qui joue à la petite fille au bord de l'oued.
Pas un événement qui n'ait échappé à Bernard Rouget et à son brûlant désir de happer la réalité, de quelque nature qu'elle fût: débarquement américain du 8 novembre 1942; passage du général de Gaulle à Casablanca; visite de Winston Churchill; successifs résidents de France au Maroc, Noguès au fin visage, le stupéfiant Eirik Labonne (l'élégance même, en dépit de ses guêtres, de sa canne et dé son col cassé), Lacoste, Juin, Guillaume, Boyer de Latour, Dubois, et j'en passe; il les a tous photographiés, comme il a photographié les premières manifestations populaires, le départ en exil du Sultan et ce qui s'ensuivit, les massacres d'Oued Zem, les attentats, les bombes, le retour de Mohammed V et de sa famille, le pouvoir légitime restauré, les premiers voyages du souverain hors de son pays. Bernard Rouget était là. Bernard Rouget a tenu une chronique visuelle d'une valeur sans égale.
Edmonde Charles-Roux.
Copyright: Photothèque Bernard Rouget, Philippe Rouget
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